A la manière de Tahar Ben Jelloun
« Ce que j’aime dans » Essaouira
Ce que j’aime dans Essaouira, ce n’est ni la chaleur, ni le vent, ni la longue plage de sable aménagée et bordée d’hôtels de luxe d’où sortent des touristes en manque de soleil, ni les vendeurs envahissants de balades en quad, chameaux ou chevaux.
Ce que j’aime dans Essaouira, c’est la vieille ville blanche nichée dans les remparts, les portes en bois cloutées et peintes dans ce bleu océan si particulier,
c’est le dédale des rues étroites de l’ancien quartier juif et ses maisons délabrées où se nichent encore des lieux de culte sauvegardés par des passionnés,
c’est la mouette aux cris lancinants qui plane au-dessus des vagues chargées d’écume venant se fracasser sur les rochers noirs, et qui finit par se poser sur les vieux canons rouillés de la Sqala,
c’est l’homme appuyé contre le mur de la digue dans sa longue djellaba ocrée, ses cheveux recouverts de la capuche à bout pointue qui regarde inlassablement le manège des oiseaux et le ressac qui se forme sous la force du vent,
c’est le port avec son foisonnement de barques bleu outremer et son activité débordante, les marchands de sacs plastique, les tas de filets colorés où se prélassent des jeunes en manque d’activité, les squelettes en bois des bateaux de pêche en construction,
c’est le marché aux poissons où les roussettes côtoient les raies, les langoustines et les moules,
c’est l’odeur des sardines grillées, des entrailles des poissons vidés et écaillés qui se mêlent aux effluves de carburant,
c’est la petite place ensoleillée du Mellah avec sa fontaine au gargouillis rafraîchissant où il fait bon prendre un verre de thé sucré à la menthe poivrée,
c’est le souk berbère et sa singularité : celui étincelant des bijoutiers avec ses échoppes carrelées, celui des poteries empilées et des épices multicolores et odorantes, des citrons confits, des roses séchées, des herbes aromatiques qui prennent le soleil sur les étals, celui consacré aux fruits et légumes avec les charrettes chargées de fraises et de petits pois,
c’est l’ambiance chaude et familiale des hammams réservées aux femmes où leurs corps sont enfin libérés,
c’est le parfum du savon noir, des seaux d’eau chaude jetés à pleine volée, du va et vient de la main habillée d’un gant de crin qui frotte énergiquement la peau,
c’est la soupe aux lentilles préparée par deux joyeuses matrones dans leur échoppe minuscule, les mosquées de la Médina qui s’animent à l’appel du muezzin, les prières qui rythment la vie quotidienne, les quartiers de l’ancienne Mogador qui s’éveillent et où fourmille une multitude d’artisans, les hordes d’enfants avec leur blouse d’écolier qui se pressent dans les ruelles bruyantes et animées, les vélos déglingués et les carossas rafistolées qui transportent les bagages des touristes perdus dans la foule bigarrée, une jeunesse assoiffée de liberté, les palmiers qui s’agitent dans le vent, les lianes des bougainvillées rouges, blanches, violettes, les visages de femmes voilés et les corps complètement dissimulés, les hommes sans âge à la barbe hirsute qui traînent les pieds dans leurs babouches usées, l’énergie dépensée par le chauffeur du taxi collectif pour faire monter sept passagers dans sa Mercedes bleue, crachotante et poussiéreuse, le rond-point de la sortie de la ville aménagé en pépinière, les riads mystérieux, entourés de hauts murs, nichés dans la cité, cette négociation rondement menée pour un plat à tajine indispensable, les souvenirs précieux qui alourdiront la valise du retour, un français achetant dans une boulangerie une multitude de petits gâteaux marocains et moi qui l’attends en sirotant un bon Qawa.
Retrouvez le texte original dans Labyrinthe des sentiments de Tahar Ben Jelloun (édition Stock, p.52-53)
Une littéraire amoureuse de la ville pour Vivre Essaouira, le 25 juin 2015